Un concept aux multiples facettes
Comme expliqué dans le premier article inaugurant mes épisodes à Tokyo, c’est au mois d’Avril, durant la période du Hanami, que je rencontre Yukiko grâce à ma sœur qui habite Shinjuku depuis 1 an. Lorsque l’on voyage, avec l’expérience et les années, nous nous rendons compte que l’important est avant tout de marquer son expérience au travers de belles rencontres. Je ne force pas le destin mais saisi et profite de ces simples moments de vie ou occasions rares de douceurs et de vérité. Ce sont comme des petits moments uniques que je collecte.
Yukiko à un air malice, doux et c’est d’une extrême gentillesse qu’elle nous propose lors de notre rencontre de nous préparer le thé sous les sakura du parc Shinjuku Gyoen situé en plein Tokyo… Un cadre idyllique, de bonnes ondes et de bonnes choses à grignoter pour apprendre à nous connaitre, rire et échanger sur nos différentes habitudes. Nous nous rejoignons avec ses amies afin de trouver une petite place sous les magnifiques fleurs de cerisier et installons nos petites bâches au sol. À la fin du repas, Yukiko, aux gestes posés et doux, nous sert le thé à genoux et dressée de son sublime kimono rose assorti à la saison du Hanami. Comme elle nous le dévoile dans l’interview ci-dessous, c’était une façon “casual” de servir le thé afin de s’amuser et de profiter de ce bon moment. Tour à tour nous dégustons une petite tasse de thé matcha assorti d’une pâtisserie typique (pour l’occasion) en respectant tout de même quelques règles que Yukiko nous dictent au fur et à mesure. Elle nous guide afin d’apprécier ce que l’on nous offre. J’admire la sérénité qu’il se dégage de Yukiko, sa posture, ses gestes, cette grâce dont elle nous fait honneur. Mais Yukiko, c’est aussi ça…
Bonjour Yukiko. Je garde de beaux souvenirs de notre rencontre au parc de Shinjuku Gyoen durant la saison du Hanami. Pourrais-tu en dire un peu plus aux lecteurs te concernant?
Bonjour, j’ai 53 ans et je viens de Sendai. J’ai vécu aux Etats-Unis pendant 3 ans grâce au travail de mon mari et c’est pour cela que je suis américanisée. J’habite aujourd’hui à Noda dans la préfecture de Chiba au Japon, que je ne connais pas encore beaucoup car j’ai déménagé ici l’an dernier à cause du travail de mon mari. Je suis aussi une mère de quatre enfants devenus adultes! Je suis traductrice et interprète en anglais-japonais free-lance mais j’étais aussi une enseignante d’anglais avant de déménager à Noda.
Qu’est ce que le Hanami? Pourrais-tu nous expliquer ce que cela représente pour toi et pour les japonais.
Peut-être seras-tu étonnée mais c’était la première fois que je réalisais un pique-nique sous les fleurs de cerisier. Peut-être que les étrangers ont tous cette impression que les japonais pique-nique sous les fleurs de cerisier pour les admirer mais pas du tout! Je n’aime pas cela car il y a trop de gens et je sais que beaucoup de monde boit de l’alcool durant cette période. Pour moi, faire “Hanami”, signifie admirer les fleurs de cerisier et se promener sous celles-ci pour les voir. Quand les fleurs de cerisier fleurissent, nous sommes excités car nous savons que le printemps est arrivé. En même temps, nous savons que les fleurs de cerisier restent seulement 10 jours! Nous nous amusons de voir l’évolution des fleurs; quand elles commencent à fleurir, lorsque qu’elles sont en pleine floraison et lorsque les pétales de fleurs commencent à tomber… C’est aussi un spectacle magnifique. On dit d’ailleurs que les japonais chérissent à ce moment quelque chose de momentané. On peut lire que les anciens admiraient aussi les fleurs de cerisier chaque printemps il y à déjà 1000 ans au Japon! Pour nous, comme la rentrée des classes et le travail commencent en Avril, le printemps est le temps du nouvel an. Donc, lorsque nous voyons les fleurs de cerisier, nous pensons à une nouvelle année.
C’était la première fois que j’assistais à une « cérémonie » du thé au Japon, d’où te viens cette passion? Comment as-tu appris cet art?
Ah, Camille, ce n’était pas une cérémonie du thé officielle que j’ai servi. C’était une façon “casual” pour nous amuser tu thé. Mais la majorité des japonais ne boivent pas le thé en plein air. C’était la première fois pour Hiromi, mon amie et sa fille. J’ai commencé à prendre des leçons il y a 15 ans avec ma fille. Avant ça, je n’avais jamais essayé. Une de mes amies à invité ma fille et moi pour avoir du thé en poudre (matcha), ce n’était pas une cérémonie du thé formelle, mais j’ai tout de suite été attirée par la beauté de la culture japonaise. Depuis lors, je prends des leçons bien que j’ai déménagé ici et là.
Pour info :
La cérémonie du thé au Japon (appelée sadō) est un art traditionnel inspiré en partie par le bouddhisme zen dans lequel le thé vert en poudre, ou matcha est préparé de manière codifiée par un praticien expérimenté et est servi à un petit groupe d’invités dans un cadre calme et qui, vu d’Occident, peut évoquer une cérémonie.
Tes gestes étaient si posés, peux-tu nous donner quelques conseils pour préparer un bon thé matcha?
Ah, merci pour ton compliment. Tu dois voir comment ma fille sert du thé matcha. Elle sert très élégamment. Je crois que j’apprends seulement à servir du thé naturellement après 15 ans d’apprentissage! Mon professeur dit toujours qu’il n’y a pas de mouvements nécessaires pour servir du thé. Pour préparer un bon thé matcha? Je crois qu’on doit penser fort à ses invités; passer un bon moment, avoir un bol de thé pour la saison, des gâteaux japonais selon l’air de la saison…
En tant qu’invité, lors d’une cérémonie du thé, quelles règles doit-on respecter?
Juste, amuse-toi bien et apprécie le moment passé ensemble. Bien qu’on ne connaisse pas la façon de boire du thé, ce n’est pas grave.
J’ai aussi admiré la façon dont tu portais ce beau kimono rose assorti au fleurs de cerisier qui nous surplombaient lors de ce pique-nique. A-t-il une histoire particulière? J’ai appris de ma soeur que tu en faisais la collection!
Je suis contente que le kimono rose t’ait plu. Quand on porte le kimono, c’est important d’en mettre un qui accompagne la saison. J’en ai un pour la saison des iris, la saison des pluies et aussi pour l’été. Le tissu est fin et en soie pour tenir frais.
J’ai également appris que tu pratiquais l’Ikebana, un art ancestral de l’arrangement floral. Peux-tu nous en dire plus?
Pour moi, Ikebana c’est “arranger les fleurs”. J’arrange des fleurs pour m’amuser, pour chez moi et pour mes amies. A vrai dire, ma mère à toujours fait de l’Ikebana et j’ai grandi avec. Elle avait un permis d’enseigner mais j’étais sa seule étudiante. J’ai arrêté après mon mariage mais… la vie avec les fleurs arrangées me manquait. Et puis, ma fille de 10 ans à eu envie d’apprendre l’Ikebana et j’ai recommencé à apprendre avec elle. Mais… elle était douée! Elle a reçu un permis de donner des cours d’Ikebana quand elle avait 17 ans! Moi? Je n’étais pas très forte… J’ai encore arrêté d’apprendre puis j’ai ensuite trouvé que je pouvais encore arranger des fleurs pour mes amies. Voici deux photos de mon travail. Ils ne sont pas réalisés selon la façon traditionnelle japonaise, mais on peut quand même pratiquer l’Ikebana de façon européenne. Aujourd’hui, l’Ikebana n’est pas populaire chez les jeunes (la cérémonie du thé non plus). Pour nous japonais, faire une cérémonie du thé et faire Ikebana font partis des arts martiaux. Ils ont des significations plus profondes que juste servir du thé et arranger des fleurs. On utilise des fleurs avec des branches et on admire les espaces vides entre les fleurs et les branches… Ikebana s’appelle aussi Kado, la cérémonie du thé s’appelle Sado et les arts martiaux; Kendo, Judo, Kyudo, Aikido. Tous ces arts ont un point en commun qui n’est pas seulement l’exercice à proprement parlé mais également l’entrainement de l’esprit. Comment peut-on s’entrainer pour faire l’Ikebana et la cérémonie du thé? Hmmm, Je crois qu’on doit exercer jusqu’à ce que l’on soit vide pour arranger les fleurs ou préparer du thé pour les autres. Ah…. c’est difficile d’expliquer.
Pour info, Yukiko était sur la bonne voie pour nous expliquer ce que cela représente :
Ikebana signifie « fleurs vivantes » et est aussi connu sous le nom de kadō (la voie des fleurs). Au XVIe siècle, l’Ikebana entre dans le rituel de la cérémonie du thé. A cette époque il est pratiqué par les Samouraïs pour les aider à acquérir une grande maîtrise d’eux-mêmes. C’est à cette période que l’Ikebana devient un art martial. Au XIXe siècle, les fleurs entrent dans les habitations et les bouquets seront alors réalisés par la maîtresse de maison pour honorer ses invités.
L’Ikebana est l’art du choix, il faut choisir, tailler, mettre en forme une ou plusieurs plantes. Créer du vide. Un rameau hirsute devient alors l’expression d’une harmonie canalisée. Lorsqu’un problème politique, militaire ou religieux se présentait, il était d’usage dans le Japon ancien, de faire un arrangement floral suivant des règles très précises. L’esprit s’en trouvait clarifié et le problème était résolu avec beaucoup de sagesse. Tailler et arranger des fleurs apportent une grande tranquillité intérieure, nécessaire à l’enseignant des arts martiaux. La présence d’un Ikebana suffit à apporter une subtile dimension durant les entrainements.
Dans la réalisation d’une composition d’Ikebana les branches et les fleurs sont disposées selon un système triangulaire. La branche la plus longue et la plus importante symbolise le ciel (shin), la plus courte la terre (hikae) et la branche intermédiaire figure l’homme (soe). Cette trilogie symbolise l’Homme, médiateur entre le ciel et la terre. Comme ces trois forces naturelles s’harmonisent pour former l’univers, les branches s’harmonisent dans l’espace, sans effort apparent. Le vide est le maître du bouquet, il permet au plein d’exister.
Tu parles aussi très bien français. Pourquoi as-tu voulu apprendre cette langue? Qu’apprécies-tu dans notre culture?
Merci beaucoup pour ton compliment pour mon français. Tu es très gentille mais je sais que je dois continuer d’étudier. J’adore toujours apprendre les langues étrangères. Avant que j’accroche avec le français, j’ai commencé à apprendre l’anglais. Il y à 23 ans, mon mari est allé en France pour la première fois grâce à son travail. Lui aussi, il parle bien l’anglais et croyait que cette langue se pratiquait bien en France. Malheureusement, ce n’était pas le cas et il n’à pas passé du bon temps en France. Un jour, il a eu du mal pour acheter un billet à la gare. Deux jeunes hommes sont venus pour lui donner un coup de main. Mon mari était tellement soulagé qu’il leur a remis un grand billet de monnaie pour acheter un billet de train pour lui. Et…. ils ne sont jamais revenus. Il était vraiment fâché et détestait les français et la France. Mais il devait rester en France pour encore 3 mois de travail. Donc je lui ai conseillé d’apprendre le français sur la radio comme j’avais appris l’anglais. Parce que le cours de français radiophonique était pendant le jour, je l’ai enregistré pour lui et automatiquement je l’ai écouté…. et j’ai vraiment été attirée par votre langue!!! Ça fait 23 ans depuis que j’écoute encore le cours de français radiophonique chaque jour. Je n’avais jamais eu l’occasion de parler en français jusqu’à ce que je déménage dans le Kanto il y a 2 ans. J’habitais dans une petite ville dans le Shizuoka. Il n’y avait pas de français, ni de cours de français là bas et je l’ai étudié toute seule plus de 20 ans!!! Ah… peut-être, es-tu curieuse de savoir pour mon mari mais malheureusement, il a arrêté d’apprendre le français 2 semaines plus tard disant que c’était impossible et trop compliqué! A vrai dire, je ne connais pas encore bien la culture des gens français. J’ai une correspondante en Provence depuis plus de 20 ans. Marion, Simon, Clémence, toi et ta mère ont changés mon opinion sur les français, oui, dans la bonne façon! Je vous remercie pour tout!
Et une dernière petite question. Nous passons du coq à l’âne mais… En tant que grande gourmande, connaitrais-tu de bons endroits où se régaler? Je suis sûre que les lecteurs seraient ravis de découvrir des adresses traditionnelles… Yummy !
J’ai demandé à Hiromi qui m’a transmis une liste. Il faut bien réserver à l’avance pour le déjeuner et quelques restaurants sont seulement ouvert pour le dîner.
Restaurant de Sushi
Sushi-Kajiwara
2-30-2 Nezu Bunkyo-ku, Tokyo
Kinzushi
2-2-28 Jinbocho, Chiyoda-ku, Tokyo
Il y a une très bonne atmosphère avec de la musique jazz
Restaurant de Kushiage
Hantei
2-12-15 Nezu, Bunkyo, Tokyo
Cuisine japonaise
Wadakura à l’hotel Palace
Japon, 〒100ー0005 Tokyo, Chiyoda
パレスホテル 和田倉
Nadaman
なだ万
Cuisine chinoise
Fureika
3-7-5 Higashi Azabu, Minato-ku, Tokyo
YoyoMa, le violoncelliste adore ce restaurant! – Hiromi est une grande fan de YoyoMa!
Restaurant de Tempura
Fukamachi
2-5-2A MKyouhasi building, Kyobashi, Chuo-ku, Tokyo
Restaurant d’anguille de mer
Tamai
2-9-9 Nihonbashi, Chuoku, Tokyo
Negishimigawaga
1-1-35 Negishi, Daitou-ku, Tokyo
Restaurant de loche
(Petit poisson de la famille des Cobitidae)
Komagata
1-7-12 Komagata, Daitoku, Tokyo
Restaurant de viande grillée
Tokori
Il y a plusieurs restaurants ici et là. Hiromi va souvent à celui de Ueno.
1-52 Uenokoen Taito Tokyo
Restaurant de Tofu
Tokyo Shiba Tofuya Ukai
4 Chome-4-13 Shibakoen, Minato, Tokyo
Tofu Kawakaze
3-34-11 Asakusa, Taito, Tokyo
J’espère que vous aurez appris un peu plus sur la culture japonaise au travers de Yukiko. Je suis fascinée par ce pays que j’aimerai encore tant découvrir… Pour l’instant je me replonge le temps d’un instant dans mes clichés pris lors du Hanami… Nous nous retrouverons bientôt pour d’autres articles sur le Japon. En attendant, je serais ravie de connaître votre avis sur cette interview.
Superbe interview et photos. J’espère pouvoir en lire beaucoup d’autres ^^.
Je suis une lectrice de l’ombre (je ne commente jamais, honte à moi ) mais sache que j’aime beaucoup ton travail !
Oh merci 🙂 Ça fait toujours plaisir de savoir qui me retrouve régulièrement sur le blog.
A très vite !